Trois questions à ... Jean-Marc Ayrault
1) Qu'est-ce qui vous a conduit à vous engager au sein de la Fondation Genshagen et à accepter la présidence du comité de soutien ?
Ma vive inclinaison pour l'Allemagne vient de loin. Elle remonte à mes années d'enseignement de la langue allemande, au début de ma carrière. Par la suite, au cours de mon engagement politique en France en tant que maire, député puis président du groupe socialiste à l'Assemblée nationale, j'ai souhaité contribuer au débat d'idées en Allemagne avec les autres partis de ma famille politique et au-delà et me suis attaché à le faire. J'ai en permanence travaillé avec l'Allemagne, notamment en tant que Premier ministre puis ministre des Affaires étrangères, tant au niveau fédéral que des Länder, tant sur les plans politiques qu'à travers les actions de la société civile.
J'ai toujours profondément cru en l'importance fondamentale du lien franco-allemand en Europe. Celui-ci n'est pas exclusif, mais il est bel et bien indispensable. Dans ma vie publique, j'ai naturellement tenu à consolider et approfondir les ponts entre nos deux pays. J'ai la conviction qu'un monde globalisé appelle plus de coopération internationale et de multilatéralisme. Un multilatéralisme dont l'efficacité doit être renforcée et qui doit fonctionner de manière flexible. L'Allemagne et la France, instruites par leur histoire et inspirées par leur réconciliation peuvent porter cette exigence, avec énergie et détermination.
Mais il ne faut pas croire que notre relation relève toujours de l'évidence, notamment pour les jeunes générations. Il nous faut donc des lieux et des forces qui travaillent et nourrissent le moteur franco-allemand né d'un passé douloureux. Je suis particulièrement heureux de pouvoir contribuer à ce travail en tant que président du comité de soutien de la Fondation Genshagen, lieu de dialogue entre art, culture, politique, économie, sciences et médias, à la jonction entre la société civile et l'Etat.
2) Si nous parlons du dialogue entre Allemagne, France et Pologne, quelles chances voyez-vous pour une contribution positive du Triangle de Weimar en Europe ?
D'abord, je l'ai dit, la relation franco-allemande n'est pas exclusive et a besoin de s'ouvrir à d'autres pays, de s'élargir. En associant la Pologne, pays majeur par son poids et son histoire en Europe, le Triangle de Weimar est un des axes de cette ouverture. La Fondation Genshagen l'a bien compris, puisqu'elle associe désormais activement la Pologne à ses travaux et conduit de formidables projets de recherche trilatéraux.
Le Triangle de Weimar est aujourd'hui un important forum d'échange pour renforcer la cohésion de l'Union européenne. Au cours des dernières années, de fortes impulsions ont été données en ce sens dans la politique européenne de voisinage, la politique d'élargissement et dans la politique de sécurité et de défense commune. J'ai eu l'honneur de contribuer à ces impulsions en tant que ministre français des Affaires étrangères, notamment lors de l'anniversaire des 25 ans du Triangle de Weimar en août 2016.
Les perspectives de dialogues entre nos pays seront utiles à l'Europe si elles permettent d'aborder des sujets difficiles. C'est ma conviction. Il n'y a pas, à mes yeux, de sujets interdits ou impossibles à aborder entre nous. En Europe on doit pouvoir parler de tout, comme on doit pouvoir parler de tout entre amis. Je pense à des dossiers aussi variés que l'immigration et la libre circulation des personnes, ou encore la construction d'une politique étrangère commune face aux menaces à l'est et au sud.
Dans ces domaines, les visions de nos trois pays ont besoin d'être analysées et rapprochées. Sur ces thèmes comme sur beaucoup d'autres, rien ne sera possible sans un rapprochement fondé avant tout sur des intérêts communs et des valeurs communes et bien comprises.
3) Comment pensez-vous que l'association de la politique et de la culture, notamment à travers la Fondation Genshagen, peut contribuer à la cohérence de l'Europe ?
Vous le savez, j'ai été pendant des années maire d'une grande métropole française, Nantes, qui entretient d'ailleurs un lien d'amitié privilégié avec la capitale de la Sarre, Sarrebruck, puisque les deux villes sont jumelées depuis 1965. Durant ces mandats, j'ai pu mesurer l'absolu nécessité d'une action culturelle pour tisser des liens entre les citoyens. Ce qui est ici valable à l'échelle d'une ville peut l'être à l'échelle du continent européen.
L'Union européenne s'est constituée sur des fondements économiques et ce n'est que progressivement qu'elle s'est dotée d'une politique culturelle, notamment dès 1992 avec le Traité de Maastricht. Au cœur de cette politique culturelle, on trouve la nécessité de renforcer le sentiment d'appartenance à une communauté européenne et celle de contribuer au rayonnement de la culture européenne dans le monde.
Face aux craintes d'une uniformisation culturelle qui s'expriment avec force aujourd'hui, le travail mené par la Fondation Genshagen en faveur de la diversité culturelle me parait non seulement fondamental mais plus que jamais d'actualité. Cette tâche abonde dans le sens de la très belle devise de l'Europe : Unie dans la diversité. A travers ses activités et son souhait de contribuer à la recherche de nouvelles solutions originales face aux défis de la société et de la politique, la Fondation Genshagen fait vivre cette devise.